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De Tell ez Zaartar aux banlieues d’Europe


Chronique n°79

De Tell ez Zaartar aux banlieues d’Europe

Je lis dans L’Orient-Le Jour, excellent quotidien libanais, ce samedi 13 août 2016, un article de Massoud Achkar rappelant qu’il y a quarante ans tombait, dans la banlieue nord de Beyrouth, le camp palestinien de Tell ez Zaartar – la Colline du Thym, en arabe. Situé sur une hauteur stratégique, ce bastion, comme les autres camps de réfugiés, permettait, depuis 1969, à l’occupant palestinien surarmé et bénéficiant de la faiblesse de l’Etat libanais, de rançonner, piller, terroriser, enlever, voire tuer les citoyens du pays du Cèdre, particulièrement les chrétiens. La guerre civile avait débuté, le 13 avril 1975, par une de ces exactions, qui avait fait déborder la coupe. Le siège de Tell ez Zaartar, commencé en juin 76, durera 54 jours, les forces chrétiennes du PNL, du Tanzim, des Gardiens du Cèdre, du groupe Bach Maroun Khoury et même de volontaires « civils » de la région, bientôt appuyées par les Phalangistes, avançant mètre par mètre, quelquefois par des égouts pleins de rats, le plus souvent sur un terrain rendu difficile par des fortifications et des mines, pour obtenir la reddition de feddayin pourtant mieux armés et entraînés, et financièrement bien dotés par des pays arabes soucieux de maintenir le Liban dans sa faiblesse, de ne pas laisser Israël en paix et, par-dessus tout, de ne pas accueillir chez eux ces réfugiés qu’ils manipulaient à leur guise, dans le crépuscule de la Guerre froide ; la situation n’a pas changé aujourd’hui, avec la « crise des réfugiés ». Deux cents jeunes chrétiens, souvent mal entraînés et mal armés, sont morts à Tell ez Zaartar… La propagande palestinienne tournera cette défaite à son avantage, dans la logique victimaire dont elle a fait son fond de commerce, avec le terrorisme et la haine, Tell ez Zaartar cependant bientôt éclipsé par les massacres de Chatila et de Sabra, lesquels ont également entraîné dans un semi-oubli ceux de la ville chrétienne de Damour, au sud de Beyrouth, où l’inhumanité palestinienne n’a rien eu à envier à ceux qui ont commis les massacres de Sabra et Chatila.

L’emplacement du camp est aujourd’hui difficilement situable : l’urbanisation frénétique de la capitale libanaise l’a géographiquement effacé, mais non ôté des mémoires, nul ne se souciant néanmoins d’y établir quelque mémorial, comme il se doit, au Liban, où la paix n’en est pas vraiment une, et où l’Etat demeure faible, le pays étant toujours sans président, comme naguère la Belgique – ce qui en dit long sur le multiculturalisme idéologique dont le glapissant Trudeau est le promoteur inlassable. Le Liban, dont l’essence est de permettre aux chrétiens de vivre librement dans un monde arabo-musulman généralement hostile, mérite mieux que cette fiction de république qui est encore l’ultime terre de refuge pour ceux dont l’Evangile dit qu’ils sont, comme nous, la lumière du monde, mais dont l’Occident ne veut pas entendre parler : les chrétiens d’Orient paient encore le fait de s’être opposés à la « résistance » palestinienne de laquelle l’Occident reste généralement entiché, eût-elle les couleurs sinistres du Hamas. Ils le paieront jusqu’à la mort.

Ce siège et ces combats, je les ai évoqués dans La Confession négative (Gallimard 2009), livre quasiment passé sous silence par la presse prétendue littéraire, qui n’est jamais aussi heureuse que lorsque l’idéologie lui donne l’occasion de ne pas lire un livre de littérature, l’ineffable directeur de Charlie Hebdo profitant d’une émission télévisée pour me traiter de mercenaire – autrement dit de tueur. Les mercenaires étaient nombreux, pendant la guerre civile libanaise, mais uniquement du côté opposé, qui se proclamait « palestino-progressiste », bientôt « islamo-progressiste », risible alliance de mots dont on voit aujourd’hui en quoi consistait le progressisme. La même presse stipendiée ne parlera pas davantage de Tuer (Léo Scheer, 2015), récit dans lequel je reviens sur la guerre du Liban. Ne pas lire un écrivain est donc une décision politique et, pour l’écrivain, économique, tout comme le fait d’ignorer que la guerre est tout autre chose qu’un film, un jeu vidéo, une opération de drones, une affaire confiée à des milices privées, donc privatisée – la privatisation de la guerre s’inscrivant dans une déréglementation de la fonction guerrière, et son traitement médiatique étant soumis à son éventuelle exploitation cinématographique. Voilà qui devrait faire réfléchir aux impostures de la démocratie, en ces temps de transparence idéologique, tandis que la guerre est devenue civile en Europe.

Les Tell ez Zaartar européens existent désormais en Europe : il est plaisant de voir que les immigrés qui y sont armés utilisent des armes qui ont parfois servi au Liban et, de là, sont passées en Yougoslavie. Ces camps portent le nom de Molenbeek, de Calais, des quartiers nord de Marseille, des banlieues des grandes villes européennes, partout où l’immigration installe ses « soldats » et où les « loups » se réveillent, convertissant certains indigènes à la « guerre sainte ». Il n’est pas interdit d’espérer que, comme en 1975 et en 1976, de jeunes chrétiens, collant sur la crosse de fusils d’assaut des images du Christ Roi ou de la Sainte Vierge, la croix autour du cou, avanceront un jour vers ces bastions pudiquement appelés « quartiers difficiles », ou plus justement « zones de non droit » – exactement ce qu’était le camp de Tell ez Zaartar. Les conditions sont là, et l’Etat français particulièrement faible, en ce moment, avec la crise des prétendus réfugiés, l’immigration galopante, la décomposition morale du pays et ses alliances avec les monarchies pétrolières qui financent ceux-là mêmes qu’elles prétendent combattre.

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